La journée internationale des droits des femmes dans la Tech.
La journée internationale des droits des femmes (International’s women’s day) a été créée au début des années 1910 d’abord aux états-unis, à l’initiative du parti socialiste américain puis s’est répandue en Europe grâce aux militantes et militants socialistes. Le jour n’a pas toujours été le 8 mars mais a toujours été sur la période fin février / début mars.
Le but de cette journée est de lutter pour le droits des femmes dans le monde. Comme nous le montre un rapport de l’INSEE de 2019 (loin d’aborder tous les problèmes mais donnant déjà une idée de base), même dans un pays riche et considéré comme « avancé » comme le nôtre, on est loin de la panacée côté droits des femmes. Il y a encore beaucoup de luttes à mener et cette journée est faite pour mettre en relief ces manques et ces injustices. Cette année, elle est de plus accompagnée d’une grève féministe qui s’inscrit en France dans le mouvement de grève reconductible qui commence la veille.
L’un des enjeux de cette journée à travers les ans a été d’être prise au sérieux et de ne pas être réduite à « La fête de la femme » comme beaucoup de magasins essayaient de la transformer. Aujourd’hui encore les tentatives de récupération de cette journée entravent beaucoup l’impact qu’elle peut avoir.
Mon questionnement
Comme tous les ans, à l’approche de la journée du 8 mars, les lieux communautaires entre femmes ont commencé à parler de cette journée. Sur le slack des Duchesses (communauté francophone de femmes dans la tech en non-mixité) en particulier il y a eu une discussion sur ce que faisaient les entreprises de chacune pour cette journée. N’ayant été qu’un an dans une entreprise pour le 8 mars, j’ai lu les témoignages avec curiosité et je me suis dit que ça serait intéressant de faire un article sur le sujet.
J’ai alors posté des appels à témoignages sur twitter et linkedin (je croyais l’avoir fait sur mastodon aussi mais je ne retrouve pas…). J’avais un peu peur de devoir me retrouver à gérer les réponses vexées des hommes vu que je ne m’adressait qu’aux femmes dans ces demandes mais j’ai eu beaucoup de chance, je n’ai pas eu ce problème. Peut-être parce que j’avais défini clairement les choses dans ma demandes : « femmes de la tech est-ce que vous pouvez partager avec moi vos témoignages si vous le souhaitez ? Si vous n’êtes pas une femme de la tech, est-ce que vous pouvez partager pour que le plus de personnes voit cette demande ? ». Du coup, ma demande était plutôt claire et difficile à contourner pour les messieurs de mauvaise foi qu’on trouve toujours sur les discussions en public à propos des femmes.
J’ai eu pas mal de témoignages et ai pu discuter avec beaucoup de femmes de la tech (merci à toutes !) sur ce qu’elles avaient vécu en entreprise sur cette journée, ce qu’elles voudraient voir plus souvent, ce qu’elles détestent absolument. Ça a été très enrichissant pour moi, et j’espère pouvoir faire une sorte d’état des lieux de tout ça pour vous transmettre ces idées et ces expériences.
A week to go til we hit the annual corporate calamity that is also known as #InternationalWomensDay2023 - if you are planning to participate in this branding bunfight here are some handy tips to survive until you have to do another 24 hours of performative feminism next year: ->
— Sophie Walker (@SophieRunning) March 1, 2023
Ma journée du 8 mars
Personnellement, la journée du 8 mars ça a toujours été une journée qui m’a beaucoup énervée. Pour moi, c’était un jour où on pouvait enfin parler des enjeux de luttes féministes et essayer de faire avancer les choses. Mais la plupart des gens autour semblaient vouloir complètement dépolitiser cette journée.
Pendant longtemps je faisais en sorte de ne pas travailler sur le 8 mars, ou si je travaillais d’être en réunion, en déplacement, pour éviter les débats stériles avec les collègues. Autant j’ai toujours été capable de rester professionnelle, de temporiser et de pas sauter sur le dos de toute personne pas assez « woke » (pour reprendre les termes à la mode) dans le quotidien au travail, autant la journée du 8 mars semblait faire ressortir le pire des collègues (et supérieur·es) et tant qu’à faire j’essayais d’éviter de me mettre en difficulté.
La première année après ma reconversion vers la tech, j’étais dans une équipe très misogyne et j’ai été soulagée quand le 8 mars est tombé sur un dimanche ! (L’année suivante j’étais arrêtée en récupération de mon covid… Et ensuite j’ai quitté l’entreprise, ouf !)
Depuis, étant freelance et dans une situation qui ne me permet pas de refuser des missions, j’ai travaillé tous les 8 mars. Cette année, je donne une formation wordpress. Mes capacités d’action sont donc très limitées. En en discutant autour de moi, plusieurs personnes m’ont partagé un lien vers un site qui permet de trouver d’autres façons de participer qu’en faisant la grève, pour toutes celles et tous ceux qui ne peuvent pas se le permettre. J’ai trouvé l’initiative intéressante.. et ai réalisé grâce à ce site qu’en fait, je participais bien à la journée du 8 mars, en écrivant un article à ce sujet et en partageant des ressources !
Le #8mars, c'est la Journée Internationale des Droits
— Pépite Sexiste (@PepiteSexiste) 3 mars 2023
des Femmes : l'occasion de célébrer nos victoires et revendiquer nos droits. A moins que vous ne préfériez les fleurs, les séances d'épilation et les promos ! Mais en 2023, les marques n'oseraient pas... N'est-ce pas ? pic.twitter.com/nHfqnkHra6
Les femmes dans la tech
Difficile de parler de la journée internationale des droits des femmes dans la tech sans parler… des femmes dans la tech.
J’ai souvent l’impression que la situation des femmes dans la tech est forcément hyper connue par tout le monde et que je rabâche des choses hyper basiques. Mais c’est en fait un biais personnel, le sujet des femmes dans la tech est central dans ma vie : je suis une femme dans la tech, déjà, et je milite à ce sujet, je fais de l’éducation populaire, des conférences, des articles… Donc forcément, moi j’entends parler de la situation des femmes dans la tech quotidiennement. Mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. Régulièrement, quand j’explique la situation, je me retrouve face à des réactions surprises venant (le plus souvent) d’hommes qui ne s’étaient jamais demandé pourquoi ils travaillaient en général qu’avec des collègues masculins. (Beaucoup ne remarquent même pas vraiment l’absence des femmes, la plupart se disent juste que si les femmes ne sont pas là, c’est qu’elles n’en ont pas envie…).
Bref. Ce sujet est loin de couler de source pour tout le monde, donc je pense qu’il est vital de faire un petit point dessus.
Il y a quelques temps j’avais trouvé un article (en anglais) plutôt pas mal qui regroupait pas mal de statistiques sur les femmes dans la tech. On est toujours à moins de 30% de femmes dans la tech (et plus on va vers les postes techniques, pire c’est, on passe à 17% pour les postes de dev par exemple). Mais ce qui est vraiment intéressant c’est que, oui malgré tout ce qui est mis en place pour favoriser l’inclusion des femmes dans la tech à plein de niveaux, les chiffres continuent de baisser.
Il y a une vraie vision déformée à ce sujet, pour moi c’est LE gros point d’accroche. Je vois régulièrement des gens (hommes et femmes) faire des posts, des articles, des vidéos et dire « Il n’y a jamais eu autant de femmes dans la tech… ». Sauf que, bon, déjà c’est faux si on compare au début de l’industrie où les femmes étaient les plus nombreuses, mais même comparé à il y a dix ans, on est moins nombreuses.
Quand je corrige les gens, iels sont toujours très surpris·es. La réalité c’est qu’on parle beaucoup des femmes dans la tech, on a des associations, des entreprises qui militent pour notre inclusion. Il y a des formations réservées aux femmes, il y a des associations qui proposent du mentorat, des entreprises qui parlent beaucoup de ce qu’elles font pour recruter des femmes et les femmes de la tech avancent de plus en plus sur le devant de la scène pour réclamer leur place. Sauf qu’en fait, tout ça n’a pas d’impact positif sur le taux de femmes dans la tech. Les femmes continuent à avoir énormément de mal à entrer dans la tech et à la quitter en masse.
Le truc c’est qu’on peut militer autant qu’on veut, on peut pousser les entreprises à recruter, on peut scander « les femmes sont bonnes en technique aussi ! » jusqu’à s’en user les cordes vocales, la réalité c’est que la tech est un boy’s club, joue selon les codes du boy’s club et les femmes n’y sont ni en sécurité, ni à l’aise. Quand on parle avec des femmes qui quittent la tech, c’est toujours une question de survie, de santé mentale. C’est toujours usées qu’elles quittent, qu’elles abandonnent, après avoir essayé pendant des années de trouver une place.
Tant qu’on ne changera pas la culture de la tech, on n’arrivera pas à ouvrir vraiment l’industrie aux femmes en particulier, mais aux profils atypiques en général.
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— La Place des Grenouilles (@des_grenouilles) 5 mars 2023
Ce qui se fait
J’ai reçu beaucoup de témoignages (merci à toutes !). La plupart étaient des témoignages de femmes blasées, énervées, dépitées qui racontaient des actions faites par leurs (anciennes ou courantes) entreprises pour la journée du 8 mars qu’elles trouvaient ridicules et inutiles. J’ai aussi eu quelques témoignages ravis de femmes qui partageaient des actions de leurs entreprises qu’elles considéraient comme hyper positives. Il est à noté qu’en général les femmes qui étaient contentes des choses prévues par leur entreprise pour le 8 mars ont souvent ajouté d’autres points positifs de leur entreprise sur l’inclusion et la diversité. Globalement, si je m’appuie sur mon échantillon, il semble malheureusement qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire pour que cette journée soit prise au sérieux et traitée à sa juste valeur.
Je ne vais pas faire une liste exhaustive des réponses que j’ai eues, mais voici quelques exemples de ce qui semble se faire le plus souvent (donc plutôt des choses pas adaptées) :
- déjeuner entre les femmes de l’entreprise : pas forcément négatif en soit, mais les femmes qui m’en ont parlé se plaignaient que ce soit la seule initiative et qu’elle ne soit pas accompagnée d’un travail de fond. En gros, c’était « on invite les femmes au restau pour la journée du 8 mars » et c’est tout.
- interview de femmes de l’entreprise : souvent plus du « fluff » que de vraies interviews qui parlent des enjeux. On m’a même fait mention deux fois que questionnaires à la Proust et de questions du genre « qui est ton héroïne historique ? ». Interviewer les femmes ça pourrait être une super démarche mais encore faudrait-il poser les bonnes questions !
- QCM sur droit des femmes
- newsletter rose : beaucoup de témoignages me parlaient de l’utilisation du rose comme code couleur pour cette journée… ce qui est d’autant plus absurde que ça fait très longtemps que le violet a été choisi comme couleur symbolique de la lutte féministe.
- séance de yoga entre femmes : visiblement le yoga a la côte, mais j’ai aussi eu des témoignages d’autres activités, souvent sportives.
- rose (fleur) : j’ai complètement halluciné de voir que beaucoup d’entreprises offrent encore des roses à leurs salariées femmes pour cette journée. Je pensais que cette pratique était reconnue par toustes comme complètement nulle mais visiblement non. (beaucoup de femmes qui m’en ont parlé m’ont dit refuser la fleur, ce qui les met souvent en position délicate vis-à-vis de leurs supérieurs…)
- maquillage à la charte graphique de la boite (vernis, rouge à lèvres…) : je n’ai même pas envie de commenter, je suis toujours scandalisée par ces témoignages.
- code couleur vestimentaire (rose ou violet) : revient très régulièrement aussi le fameux « on s’habille toustes en violet pour faire une jolie photo pour linkedin ». (ou pire, en rose…). Là on est dans un des pires trucs possibles, déjà c’est une initiative complètement nulle, mais en plus l’entreprise l’utilise pour essayer de se donner une image positive. Moi si je vois ce genre de photos passer, j’ajoute l’entreprise à ma blacklist.
D’une manière générale, j’ai souvent eu à la fin de mes témoignages un ajout du genre « mais personnellement je fais grève pour échapper à tout ça » ou « j’évite le présentiel sur cette journée pour éviter tout ça ». Donc il est quand même à noter que les initiatives des entreprises pour la journée des droits des femmes poussent les femmes à trouver des stratégies pour éviter l’entreprise pendant cette journée. Super.
Ce qu'il faudrait faire
Okay, donc la plupart des initiatives sont vraiment vues négativement par les femmes. Mais du coup, qu’est-ce qu’il faudrait faire ?
D’une manière générale, les femmes avec qui j’ai discuté étaient toutes plus ou moins alignées sur les idées qu’elles trouvaient pertinentes pour la journée du 8 mars. Voici les grandes lignes :
- Sensibiliser : en faisant des affichages sur les données chiffrées sur la question des droits des femmes, des inégalités, des VSS (violences sexistes et sexuelles), en organisant des conférences de femmes sur le sujet des droits des femmes, ou de femmes qui racontent leurs parcours, en organisant des tables rondes… Globalement la sensibilisation/l’éducation aux enjeux de la lutte pour les droits des femmes est ce que les femmes demandent le plus. Attention cependant, beaucoup se plaignent que quand leurs entreprises mettent enfin ce genre de choses en place, les hommes soient de nouveau centrés. (il semblerait que beaucoup d’entreprises font venir des hommes pour faire des conférences sur les droits des femmes pour le 8 mars.. S’il y a une journée où privilégier les conférencières, c’est bien ce jour.)
- Le partage de ressources : c’est dans la même veine que la sensibilisation mais ça va un peu plus loin et ça permet aux salarié·es de continuer le travail par la suite. Livres, podcasts, articles, conférences… Il y a énormément de ressources sur la question, ça ne demanderait pas énormément d’efforts aux entreprises de créer une sorte de bibliothèque virtuelle sur ces sujets.
- En profiter pour faire le bilan : beaucoup de femmes m’ont dit qu’elles n’avaient qu’une idée vague de ce que leur entreprise mettait en place pour favoriser l’inclusion des femmes. La journée du 8 mars semble être un moment parfait pour les entreprises pour faire un bilan, en toute transparence, de ce qu’elles mettent en place, de ce qu’elles devraient améliorer. Il serait aussi intéressant de voir l’impact que ces journées ont sur l’entreprise.
Globalement, il semblerait qu’on n’en ai rien à faire qu’on nous offre des fleurs mais qu’on ait plutôt envie qu’on parle des enjeux et qu’on essaie de faire avancer les choses. Shocking, je sais !
Et maintenant ?
Que faire maintenant qu’on a fait ce petit bilan ?
La première chose que je pourrais ajouter c’est qu’il serait bien que les hommes s’investissent un peu plus dans ces questions en général et cette journée en particulier. Beaucoup de femmes m’ont raconté comment elles portaient les projets liés à cette journée seules, et comment leurs collègues semblaient ne pas s’en préoccuper du tout. Messieurs, vous râlez toujours quand on fait des généralités, vous venez nous rappeler que #notallmen constamment… Alors peut-être qu’il serait temps que vos actions rejoignent vos belles paroles ? Allez voir les femmes de vos entreprises, discutez avec elles de ce qu’elles pensent qu’il faudrait mettre en place, voyez comment vous pouvez les soutenir, les aider.
Il y a des entreprises qui semblent être des figures de proue de l’inclusion des femmes dans les entreprises. Récemment, SHODO a publié un article expliquant tout ce qui avait été mis en place pour cette question, et je peux vous dire que ça a fait rêver à peu près toutes les femmes de la tech que je connais.
Et je parlais de partager des ressources… Si vous voulez continuer à réfléchir à ces questions aujourd’hui, voici quelques ressources que j’ai à vous proposer.
Une cartographie de l’égalité des genres en entreprise. Je l’ai trouvée vraiment bien faite. Je me dis que ça pourrait être une base de travail pour réfléchir à quoi mettre en place en entreprise.
Il y a eu un article sur le blog des duchesses super intéressant publié récemment, un retour d’expérience d’une femme qui raconte comment elle s’est pris le plafond de verre.
Un article de Manon Charbonnel sur les femmes et le numérique a aussi été publié hier.
Et j’ai reçu ce matin la newsletter de Invisible Women pour le 8 mars (en anglais). Je vous la recommande.
Et comme toujours, je ne saurais vous recommander plus la conférence Marcy Ericka Charollois sur Pourquoi vous n’attirerez et ne retiendrez les femmes dans vos équipes tech, un must pour cette journée.
Bien évidemment ça n’est pas exhaustif et si vous avez d’autres ressources à recommander, n’hésitez pas à partager en commentaire !
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On m’envoie des ressources en plus sur les réseaux sociaux, donc je les partage !
Pour commencer, une étude sur l’orientation des lycéennes vers l’informatique. Très fourni, vraiment intéressant.
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