Burn Your Idols - 1.01 - J.K. Rowling
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Transcript
« Pour bien faire il faut bien commencer », dit mon idole que je ne brûlerai jamais Mary Poppins. Je ne sais pas si c’est un conseil que j’appliquerais vraiment à toutes mes activités, mais il m’a semblé plutôt pertinent quand j’ai essayé de créer un programme pour la première saison de ce podcast. Si je savais exactement ce que je voulais aborder au deuxième épisode (qui d’ailleurs a été enregistré avant même que j’enregistre le teaser pour la saison) et que le troisième épisode est prévu depuis près d’un an, le premier épisode est longtemps resté une case vide un peu moqueuse.
Je me suis dit qu’il fallait forcément parler d’un sujet qui attire le public. Pour ça, il fallait un sujet relativement évident, mais pour lequel je pouvais avoir potentiellement des choses nouvelles à dire. Même si je suis consciente de ne pas avoir toujours des pensées hyper originales, ce podcast n’a pas pour vocation de répéter ce que vous pouvez facilement trouver ailleurs.
JK Rowling me semblait être un sujet évident pour la saison. Je me vois mal faire un podcast sur notre rapport aux célébrités sans parler de la descente aux enfers de cette personne. Et j’aimais bien l’idée d’en parler dès le premier épisode, ce qui me permettait de toute suite être claire sur un sujet qui me semble vital : mon soutien aux personnes trans et mon intransigeance vis-à-vis des transphobes. Mais cet argument hygiénique, qui me permettait dès le départ de faire du ménage dans mon public potentiel, n’était pas suffisant pour me convaincre. La question qui me semblait la plus importante était : est-ce que j’avais vraiment quelque chose à dire sur le sujet, au-delà de : « c’est une militante anti-trans, mon adversaire politique, idéologique et humain et je considère comme pas éthique de la soutenir de quelque façon que ce soit ».
Si je n’avais eu que ça à dire sur cette question, je l’aurais fait sur les réseaux sociaux. D’ailleurs je suis à peu près sûre de l’avoir déjà fait plusieurs fois. Mais je pense avoir une analyse sur cette question qui sorte un peu de l’évidence ou de ce qui a déjà été traité ad nauseam à propos de la reine des terfs britanniques.
Mon objectif dans cet épisode n’est pas de faire un historique de ce que J KKK Rowling a pu dire ou faire contre les personnes trans. (le surnom n’est pas de moi mais je le trouve vraiment parfait). Ca n’est pas non plus d’argumenter pour vous convaincre du fait qu’elle est transphobe et que son activité première aujourd’hui est d’être une militante anti-trans. Tout ça est très documenté, il vous suffit de cinq minutes de recherches pour vous en rendre compte. Même moins si vous suivez les liens que je vous mets dans la description pour creuser le sujet. Même si vous allez juste sur son Wikipédia et bien que la rubrique s’appelle un peu mollement « Accusations de transphobie », et bien qu’iels aient essayé d’être aussi peu biaisé·es que possible, c’est impossible de ne pas être convaincu·e de la transphobie de JoRo, après avoir lu la section. Ou alors, on est transphobe soi-même et dans ce cas, j’imagine que vous ne trouverez pas votre bonheur dans ce podcast.
Je vais bien sûr donner un peu contexte quand même pour qu’on parte sur les mêmes bases mais l’idée c’est plutôt de prendre un pas de recul et de comprendre comment on en est arrivé·es là. Comment une meuf qui a écrit une série de livres pour enfants est maintenant citée à la chambre des Lords quand une loi anti-trans est passée. Comment on a pu donner autant de pouvoir à une meuf qui a écrit des livres qui ont bercé l’enfance de plein de gens mais qui restent d’une qualité littéraire assez médiocre en fin de compte. (oui c’était un tacle un peu gratuit)
Partie 1 : Un peu de contexte
Honnêtement, toute la partie recherche m’a profondément déprimée, donc je vais éviter de trop vous accabler et aller au plus efficace. Parce que, vraiment, si vous avez le courage d’aller voir les liens en description, préparez-vous, c’est violent.
En à peu près 25 ans de vie publique, JKR est passée d’une autrice pour enfants très frileuse dans ses apparitions publiques à une militante anti-trans avant tout qui prend position sur absolument tout sans qu’on lui demande et se positionne en experte du sujet sans aucune raison. A l’heure où j’enregistre ce podcast, ses derniers faits d’armes sont le fait d’avoir participé et plus ou moins mené les attaques pendant les Jeux Olympiques contre la boxeuse Imane Khelif et pendant les Jeux Paralympiques contre la sprinteuse Valentina Petrillo. Imane Khelif l’a d’ailleurs nommée dans sa plainte.
Son argument principal : les personnes trans invisibilisent les femmes. Elle n’est à une incohérence près puisqu’elle dit elle-même avoir choisi « J.K. Rowling » comme nom d’autrice pour faire croire qu’elle était un homme parce que sa cible visée, les garçons, n’auraient pas lu un livre venant d’une femme selon elle. Et elle a d’ailleurs réitéré quand elle a choisi son deuxième pseudonyme, prenant carrément le nom d’un homme : Robert Galbraith (que je prononce sûrement mal).
Elle dit que Robert Galbraith c’est Robert Kennedy + Ella Galbraith, une héroïne inventée pendant son enfance. Donc c’est un hasard total si c’est le nom du très connu psychiatre qui a inventé les thérapies de conversion pour les personnes LGBTQIA+. Et quand ça a été pointé du doigt, elle n’a pas changé de pseudonyme. Je sais pas, moi si je choisis Josef Mengele comme pseudonyme, j’imagine qu’on trouvera pas ça anodin.. C’est d’ailleurs une des storylines les plus absurdes de Friends mais la réalité dépasse la fiction. Surtout que Galbraith est quand même pas un nom courant, le mec s’appelait pas Robert Smith hein.
Quand elle est arrivée sur le devant de la scène, on nous l’a présentée comme une Cendrillon moderne. Une mère célibataire pauvre et dépressive qui avait créé son univers enfantin pour se remonter le moral et qui maintenant sortait de la misère grâce à ça. Plus de vingt-cinq ans plus tard, elle continue ce genre de twist narratif et utilise aujourd’hui son trauma comme défense et même comme justification de sa haine des personnes trans. Comme elle a eu une vie familiale compliquée dans l’enfance, qu’elle a été harcelée à l’école, qu’elle a été battue par son premier mari et qu’elle a fait une dépression, elle est justifiée dans le fait de penser que toutes les femmes trans sont des hommes violents déguisés qui essaient d’accéder aux espaces féminins. Ca justifie d’ailleurs aussi le fait qu’elle pense que les hommes trans n’existent pas mais soient juste des femmes qui souffrent tellement du patriarcat qu’elle s’échappent en devenant des hommes. Bref, bizarrement ses traumas lui donnent les mêmes idées transphobes que toustes les autres anti-trans.
Elle est contre les lois qui veulent simplifier les process de transition et soutient celle qui les compliquent ou carrément empêchent la transition. Et quand je dis « est contre » ou « soutient », je ne veux pas dire juste par la parole (ce qui avec 14 millions de followers sur Twitter serait déjà fortement impactant), mais elle finance du lobbying, des associations, des campagnes de comm’…
Dans l’une des vidéos de Contrapoints que j’ai listées dans la description, elle explique super bien comment JKR évite tout discours frontalement haineux pour pouvoir réfuter être transphobe. Elle ne dira jamais qu’elle déteste les personnes trans, d’ailleurs elle va même jusqu’à dire qu’elle les soutient, tout en travaillant très dur pour détruire tous leurs droits et leur existence, et tout en ayant un discours fondamentalement déshumanisant à leur encontre.
Aujourd’hui encore, elle parle peu en public. Elle a d’ailleurs refusé de faire l’interview d’anniversaire de ses films récemment. Ce qui a soulevé plein d’indignations de gens qui ont pensé qu’elle n’avait pas été invitée à cause de ses positions anti-trans. Alors qu’en fait, elle a refusé d’y aller en disant qu’elle se sentait plus concernée par ses livres que par les films. Par contre, elle tweete beaucoup depuis quelques années. C’est d’ailleurs là qu’elle a commencé à petit à petit tester l’eau pour exprimer ses takes transphobes (quitte à s’excuser juste après en mode « ohlala j’ai fait une erreur je comprends pas bien la technologie »)
Quelques dates rapides :
- 2015 : elle prend sa première position publique ouvertement transphobe en soutenant une femme (Maya Forstater) dont le contrat n’a pas été renouvelé après qu’elle ait craché publiquement sa haine des personnes trans.
- 2020 : elle passe à la vitesse supérieure et commence à avoir des discours ouvertement anti-trans. On n’est plus dans « la liberté de parole » ou dans des fausses vérités du genre « cette personne a juste dit que le sexe biologique était réel ». Là elle s’attaque ouvertement aux personnes trans et les désigne dans un article qu’elle publie comme ses ennemies. Elle signe aussi une tribune contre le wokisme tant qu’à faire. (Oui parce que bon, comme toujours, quand on est contre un groupe marginalisé, en général on n’est pas vraiment dans le camp progressiste pour le reste quoi qu’en disent les soit-disant féministes transphobes. Quand on gratte un peu, elles sont en général aussi racistes, à fond dans l’eugénisme et très souvent ne sont même pas vraiment progressistes pour les femmes…)
- 2022 : publie Troubled Blood, un de ses livres d’enquête sous le nom Robert Galbraith, dont le tueur se déguise en femme pour pouvoir kidnapper, violer et tuer des femmes. Vu qu’elle passe son temps à parler d’ « hommes en robes » pour parler de femmes trans, c’est pas vraiment subtil. Bien sûr, encore une fois, la défense c’est « mais c’est pas une personne trans », comme si le sous-texte n’était pas un truc qui existait en littérature.
Et en vrac, elle a aussi soutenu Marylin Manson et Johnny Depp, deux abuseurs de femmes qui se sont liés d’amitié autour du fait de collectionner des objets nazis, elle passe son temps à se victimiser et à dire que les personnes trans l’oppressent (elle la multimillionnaire qui vit dans un château) et carrément son nouveau dada depuis quelques années c’est de dire ouvertement que les droits des personnes trans viennent détruire les droits des femmes cis.
Partie 2 : Ma relation à Harry Potter et JK Rowling
Bon, ça c’est un contexte et bien sûr, il est biaisé. Vous avez bien compris que je n’ai pas beaucoup de sympathie pour JK Rowling et que mon portrait était sûrement à charge. J’assume, même si je ne vois pas trop comment parler de ses positions anti-trans, et c’est le sujet aujourd’hui, autrement.
J’aurais pu commencer par raconter à quel point elle a apporté avec ses œuvres du bonheur à plusieurs générations d’enfants. Et c’est pas faux, mais c’est pas vraiment le sujet. J’aurais pu parler de son apport à la culture pop… Mais là encore, c’est pas le thème de mon podcast. D’autres l’ont fait, et si je devais en parler, là encore je serais loin d’avoir un discours hyper positif, j’ai jamais trouvé que JK Rowling était une autrice extraordinaire.
En fait, mon rapport à Harry Potter est un rapport sûrement différent de pleins de gens de ma génération. J’ai eu les trois premiers livres à leur édition en France alors que la saga n’était pas encore vraiment connue du grand publique. Je lisais déjà beaucoup à l’époque et ça a été un des premiers livres de ma vie que j’ai abandonné.
Il faut dire que toute la scène chez les Dursleys avec toute la grossophobie m’a bien refroidie moi qui était déjà très sensible à cette question de par mon vécu. Et que si j’ai essayé de m’accrocher, je trouvais pas ça très bien écrit et j’ai préféré arrêter pour me plonger dans le dernier Animorphs qui venait de sortir. Donc quand je dis que je suis un plutôt une gamine Animorphs qu’une gamine Harry Potter, c’est pas juste un flex parce que K.A. Applegate, l’autrice d’Animorphs est hyper vocale sur sa position en soutien des personnes trans mais une réalité factuelle.(Pour la petite histoire, K.A. Applegate a même plus ou moins rendu canon l’idée que l’histoire d’un de ses persos pouvait être lu comme un parcours de transition de genre, après que des personnes trans se soient appropriées cette storyline.)
Bref. Du coup au début quand les livres ont eu du succès, j’étais dubitative. Mais quand le premier film est sorti, ma sœur voulait absolument aller le voir, et comme j’ai tendance à toujours préférer lire le livre avant de voir l’adaptation, j’ai retenté le livre et me suis accrochée. Et à un moment la sauce a pris et, malgré des défauts, j’ai lu les trois bouquins et continué la série. Honnêtement, aujourd’hui j’ai plus de nostalgie pour les films (vus en famille sur des moments très doux) que pour les livres.
Pourtant, j’ai joué à des jeux de rôles d’écriture en commun sur forum qui étaient en partie inspirés de l’univers d’Harry Potter (mais aussi en partie d’autres univers ce qui rendait le tout plus riche). Et j’ai même fait la queue à 3h du mat au Virgin des Champs-Elysées avec ma meilleure amie de l’époque pour la sortie en anglais du sixième tome. C’est un super souvenir pour moi et globalement ce que je garde comme bon souvenir d’Harry Potter c’est le fait que tout le monde semblait lire ces livres et les adorer et pour une fois j’avais une expérience commune grâce à ma passion de la lecture. Lire est ma passion depuis toute petite, mais c’est une passion relativement solitaire. Harry Potter a donné un aspect communautaire à cette lecture. A donné des références communes, m’a permis de me lier aux autres. C’est pas pour rien que j’ai commencé les communautés web en cherchant des fans d’Animorphs, j’ai toujours cherché à partager ma passion de la lecture comme je partage plus naturellement d’autres passions.
Bien sûr j’ai fait les tests Pottermore pour savoir quel était mon patronus ou à quelle maison j’appartenais ou de quoi était faite ma baguette. J’ai acheté du merchandising à ma sœur. Et je continue à avoir du mal à trouver une autre expression que « je fais mon Hermione » quand mon côté première de la classe ressort. Bref, j’étais quand même dans l’œil du cyclone même si j’ai toujours gardé une distance, parce que je voyais aussi dans la série des défauts que je ne voyais pas dans d’autres séries que je lisais. Comme par exemple : la qualité d’écriture, la grossophobie à outrance, le sexisme et des tas de trucs au niveau de l’univers qui pour moi tenaient pas bien la route. Depuis, j’ai en plus trouvé d’autres défauts comme pas mal de racisme, des LGBTQIA+phobies, des psychophobies, du validisme…
Et d’ailleurs, vous vous rappelez qu’au début ils disaient que les premiers tomes étaient écrits avec un style très simple parce que son objectif était d’écrire chaque tome pour correspondre au niveau de lecture de l’âge des héros ? Outre le fait que ça n’avait aucun sens, parce qu’un livre bien écrit pour un public d’enfants de 10 ans reste un livre bien écrit, bizarrement quand elle avancé dans la série et que le style est resté le même on n’en a plus parlé.
Bref, je pourrais faire un épisode complet sur pleins de sujets concernant Harry Potter. Mais c’est vraiment une franchise qui ne m’intéresse plus. J’ai plus aucun investissement dans ces personnages, ces créatures, cette histoire.
C’est donc relativement simple pour moi de voir depuis des années ce que Jo-Ro est en train de devenir. Mes œillères à son sujet sont tombées depuis longtemps. Je n’ai pas de conflit de loyauté envers mon enfance quand je dis qu’il faut la déplateformer, c’est-à-dire ne plus lui donner d’espace où exprimer ses idées. Je n’ai pas de conflit de loyauté quand je dis qu’il ne faut rien acheter de cette franchise afin de ne pas ajouter à l’argent qui va dans les poches du mouvement anti-trans. Je n’ai pas de conflit de loyauté non plus, quand je dis que ses livres déshumanisaient déjà pas mal de groupes marginalisés et finalement auraient dû nous mettre la puce à l’oreille sur le fait que c’était loin d’être la libérale qu’elle dit être.
C’est important pour moi de vous dire tout ça. Ca ne me rend pas plus objective que quelqu’un qui est toujours émotionnellement attaché à cette œuvre. Mais ça ne me rend pas non plus moins objective. Comme n’importe qui, je pars de moi et j’essaie ensuite de prendre du recul et de comprendre ce qui se passe. Pourquoi je déteste aujourd’hui autant JK Rowling ? Je n’ai pas de sentiment de trahison, je n’attendais rien d’elle, mais pour moi elle est une ennemie, elle est dangereuse pour mes adelphes trans, et en réalité dangereuse pour la société en général.
Et non, elle n’est pas uniquement dangereuse pour les personnes trans de Grande-Bretagne, même si ça vaudrait déjà le coup d’en parler si son impact se limitait là. Elle est dangereuse aussi pour nous, en France. Les anti-trans d’ici reprennent les mêmes tactiques, les mêmes arguments et les mêmes process que celleux de Grande-Bretagne. C’est le modèle sur lequel les transphobes françaises et français s’appuient parce que c’est un modèle qui marche. D’ailleurs c’est le même modèle qui a été appliqué aux USA, et iels en sont carrément à revenir sur le droit à l’avortement (et oui, c’est aussi à cause des terfs).
Partie 3 : Où on a merdé
Pour moi, la montée en puissance de JKR et son impact sur la société est due à plusieurs causes, qui ont toutes leurs racines dans les erreurs qu’on fait dans nos relations aux personnes célèbres en général et aux artistes dont on apprécie l’œuvre en particulier.
Comme c’est une autrice de notre enfance, on refuse de lâcher l’univers qu’elle a créé. Il ne faut pas oublier que pour beaucoup, ses livres sont aussi le symbole de la découverte du plaisir de la lecture et de l’émancipation par l’imaginaire. Beaucoup de gens qui ont du mal à lâcher Harry Potter aujourd’hui, et continuent à acheter max de merchandising, ont souvent cet argument : Harry Potter a été pour elleux la porte ouverte vers une de leurs passions.
Certaines personnes, ont aussi réussi à surmonter des épreuves grâce à ces livres. Il faut dire que si je suis la première à reconnaître des défauts majeurs à cette série, le fait que le thème central soit le deuil et la mort amène forcément des attachements très forts pour les enfants qui voient refléter leurs errances dans ces histoires. Je ne trouve pas que ces livres traitent vraiment bien de ces sujets, pour moi ça manque beaucoup de subtilité et y a même des choses que je trouve pas très saines. En attendant, il y a des gens qui ont surmonté des traumas grâce à ces personnages et leurs histoires de résilience. Et forcément, le lien émotionnel que ces gens ont avec la franchise et même avec son autrice est difficile à remettre en question.
Harry Potter et JK Rowling n’ont jamais été ça pour moi. Mais d’autres œuvres, d’autres artistes, le sont. Et si demain je devais les remettre en question, ce serait douloureux. Je le sais, parce que je l’ai vécu plus récemment et d’ailleurs ce sera le thème de l’épisode trois de cette saison.
Quoi qu’il en soit à un moment être adulte je pense que c’est aussi être capable de nuances. Je ne crois pas que quiconque vous jugera si vous relisez régulièrement Harry Potter ou si vous ne brûlez pas les dvd que vous achetés y a dix ans. Pour moi le principe avec des artistes vivant·es qui font du mal aux autres, et là on est sur une artiste qui oppresse toute une partie de la population ce qui est impossible à ignorer, c’est de ne plus entretenir leur pouvoir. Donc, ne pas leur donner d’argent, ne pas leur donner de visibilité, ne pas leur donner de plateforme. Je ne vais pas vous juger si Harry Potter est toujours votre univers doudou, par contre si vous achetez le dernier jeu vidéo, que vous suivez Rowling sur les réseaux ou que vous mettez votre maison de Poudlard dans vos bios publiques, alors là je vais grincer des dents. Tout ça entretient, à des échelles différentes, le pouvoir de JKR. Personne ne vous empêche de continuer à consommer des choses issues de l’univers d’Harry Potter, mais y a moyen de le faire sans 1) donner de l’argent à la terf en chef et 2) sans lui donner de la visibilité et entretenir son statut d’artiste reconnue.
Outre le fait que Harry Potter fait partie de nos enfances, et qu’il y a un facteur nostalgie difficile à dépasser, je pense que l’autre raison pour laquelle Jo-Ro a pu développer sa petite idéologie transphobe et l’imposer, c’est qu’elle a bien choisi sa cause. La transphobie, tant qu’elle n’est pas pleine d’insultes horribles et de menaces, et encore, reste plutôt tolérée. Les personnes trans font partie d’un des groupes plus fragilisés, les plus en marge de nos sociétés. A l’instar des LGB dans les années 80, ces personnes cristallisent le point de rupture entre une société conservatrice et une société progressiste.
A noter qu’en fait bien sûr, elles étaient déjà inclues dans les paniques morales et étaient déjà les cibles des réactionnaires dans les années 80, puisqu’on mettait sous « gay » tout ce qui était LGBTIQA+. D’ailleurs la lutte pour les droits des personnes LGBTIQA+ a toujours été en grande partie menée par les personnes trans. C’est juste qu’aujourd’hui, les personnes LGB sont plutôt à l’aise dans les droits qu’elles ont fini par acquérir grâce à ces luttes et ne sont pas directement visées par l’idéologie anti-trans. D’ailleurs, les transphobes essaient à tout prix de coopter les personnes gay, lesbiennes, bi dans leur luttes, pour la justifier, mais aussi pour se donner des airs progressistes. « On n’est pas les réactionnaires, puisqu’on a des lesbiennes avec nous ».
Bon, les études montrent quand même qu’il y a bien plus de soutien aux personnes trans chez les LGB que ce que les transphobes veulent nous faire croire. Mais quoi qu’il en soit, même au sein d’une communauté qui s’est construite sur les épaules des personnes trans, il y a des gens pour argumenter qu’on devrait séparer les LGB des T. Et les arguments pour cette séparation sont en général transphobes, souvent plutôt du genre « soft » transphobie, à la JKR, plutôt que du genre transphobie frontale en mode extrême droite.
Mais même si c’est de la « gentille » transphobie (ceci n’existe pas hein), ça reste de la transphobie et plein de gens n’arrivent même pas à comprendre que c’est pas okay. Remettre en question l’existence des personnes trans n’a aucun sens. On a des siècles de témoignages, on a de la recherche scientifique… Bon a perdu une partie des archives à cause des nazis, mais globalement, la trans identité a toujours existé, dans toutes les sociétés, à toutes les époques. Nier que ça existe est aussi absurde que nier que l’homosexualité existe. Pourtant, en 2024, y a encore des gens, et même des gens de gauche, que ça ne gêne d’avoir ce genre de débats.
Si aujourd’hui, JKR remettait en question le droit des personnes gay par exemple, avec le même ton et le même genre d’arguments qu’elle le fait pour les personnes trans, ça ne passerait pas. Pourtant, en gros, ce sont les mêmes arguments recyclés des années 80. On nous parle encore des vestiaires, des toilettes, de vouloir convertir les enfants… Bref, c’est le même langage, les mêmes peur, et les mêmes stéréotypes utilisés. Et si on les ressortait pour les personnes gays, même les plus conservateurices auraient du mal à trouver ça acceptable. Alors que quand JKR dit toutes ces choses horribles sur les personnes trans, y a plein de gens qui disent « liberté d’expression » ou « il faut discuter de ce sujet » ou « elle soulève des questions intéressantes »… Et bien sûr il y a toute une levée de boucliers dès qu’on dit qu’elle est transphobe. J’ai d’ailleurs eu quelqu’un qui m’a envoyé un message pour me dire qu’il n’écouterait pas mon podcast après la sortie du teaser, vu que « j’insultais » Rowling de transphobe.
Transphobe ou Terf ne sont pas des insultes mais des adjectifs. JKR a des positions transphobes, elle est transphobe. Elle est anti-trans. C’est même une militante anti-trans et comme elle se revendique pour le droit des femmes, elle est donc terf (Trans-exclusionary radical feminist – féministe radicale excluant les personnes trans). Ce sont les termes appropriés.
Finalement, le cœur du problème, et c’est un sujet qui reviendra dans ce podcast, c’est qu’on donne trop de pouvoir à des gens dont on aime l’œuvre. Jo-Ro n’a jamais été la spécialiste de la trans identité. Elle n’a absolument aucune formation sur le sujet, elle ne s’est jamais éduquée sur la question vu les énormités qu’elle sort, et elle n’a même pas d’expérience personnelle du sujet.
Bon, elle dit avoir des ami·es ou relations (c’est pas clair) trans mais c’est peu crédible… Et ce qu’elle considère comme expérience personnelle c’est de dire que si elle avait été enfant aujourd’hui on l’aurait « transé » (rendue trans) parce qu’elle n’était pas féminine et souffrait du patriarcat. Donc elle montre encore une fois qu’elle ne comprend rien à la trans identité (et d’ailleurs montre aussi qu’elle est incapable d’empathie puisqu’elle voit tous les sujets par son expérience à elle et ne peut pas imaginer que d’autres expériences existent.)
Dès qu’elle parle de la trans identité et des personnes trans elle montre à quel point elle n’y connaît rien. Elle passe son temps à véhiculer des stéréotypes et des fausses idées qu’on débunke en trois secondes de recherche. Elle dit régulièrement des trucs tellement gros que même les transphobes la reprennent.
(D’ailleurs y a pas longtemps Elon Musk, lui-même un transphobe hyper violent, l’a reprise sur twitter en lui disant qu’elle allait trop loin. Bon, c’était pas en protection des personnes trans mais en protection de son business mais quand même c’était plutôt comique).
Bref, démontrer que Rowling n’est pas une spécialiste de la trans identité c’est à peu près aussi facile que de démontrer que je ne suis pas une spécialiste de physique quantique. D’ailleurs je pense qu’elle comprend aussi peu à la trans identité que moi à la physique quantique, la différence c’est que moi ça me viendrait pas à l’idée d’avoir un avis sur la question ou même de me poser en spécialiste.
Le problème c’est que comme Jo-Ro est une personne publique, comme elle est reconnue dans son domaine, on lui laisse la parole sur tous les sujets. Pire, elle a par défaut une sorte de crédibilité quel que soit le domaine. Qu’elle soit entendue sur des sujets par exemple liés à l’écriture de livres pour enfants, ou même pour adultes puisqu’elle écrit aussi pour les adultes maintenant, okay. Même qu’elle témoigne sur des sujets qu’elle a vécus, comme le fait d’être dans une relation abusive, ou la dépression, très bien. Et si elle s’était formée à un sujet, d’une façon ou d’une autre, et s’était positionnée dessus, pourquoi pas.
Mais là, on part du principe qu’elle a un poids sur des sujets de société qui impactent directement la vie de millions de personnes juste parce qu’on a aimé ses bouquins. Donc comme j’adore le pain semoule de mon boulanger, à partir de maintenant il faudra prendre en compte sa parole au-dessus de celle des concerné·es sur le sujet de son choix.
C’est d’une absurdité sans fin quand on y pense. Rowling n’est même pas quelqu’un qui a étudié un sujet adjacent. Elle n’est même pas sociologue, ou psychologue ou médecin par exemple, elle a étudié le français à la fac et écrit des bouquins de fiction.
A un moment il faudrait peut-être redescendre. Oui l’art apporte à la société. Bon, ramasser les poubelles apporte aussi à la société et on donne pas du tout le même statut aux personnes qui font ce métier. Mais ça ne fait pas de l’artiste une figure omnisciente qui doit avoir plus d’autorité sur la société que la personne lambda. On parle constamment de « séparer la personne de l’artiste » quand des artistes sont dans la sauce. Sauf qu’on ne le fait jamais en réalité. Parce que là si on séparait JK Rowling la personne de JK Rowling l’artiste, bah la personne n’aurait plus du tout l’impact que l’artiste a dans son militantisme anti-trans.
JK Rowling sans sa posture d’artiste, elle aurait pas 14 millions de followers. Elle aurait pas la possibilité de publier des articles dans des grands journaux dès qu’elle le souhaite. Elle aurait pas non plus des millions à investir dans sa cause. Comme dans plein de cas, c’est en fait ici impossible de « séparer la personne de l’artiste ».
Et c’est pas forcément ça la solution. La solution c’est peut-être de changer notre rapport aux artistes. (Quel twist incroyable vu le thème de ce podcast !)
Peut-être qu’on pourrait admettre que les artistes ne sont pas des gens meilleurs ou plus importants que nous. Oui ils ont des talents et des compétences qu’on n’a pas forcément, mais ça ne fait pas d’elleux des dieux pour autant. D’ailleurs, iels sont sûrement incapables de faire plein de choses qu’on fait. Et bien sûr, les artistes qu’on érige en idoles sont toujours des artistes qui ont du succès et donc sont riches et rien qu’avec cette richesse ont énormément de pouvoir.
Peut-être qu’on pourrait éviter de leur donner encore plus de pouvoir. Il est peut-être un peu tôt dans ce podcast pour discuter de la question éthique que l’existence des multi-millionnaires pose. Mais on peut au moins je pense se mettre d’accord sur le fait que les personnes qui sont riches à ce point ont un pouvoir bien plus élevé que les personnes au pouvoir d’achat moyen (et encore plus que les personnes pauvres). Et c’est déjà un problème.
Rowling si elle était juste rentière et pas connue du grand publique mais toujours aussi riche, elle pourrait encore faire énormément de dégâts avec son militantisme anti-trans. Elle pourrait toujours y mettre des millions comme elle le fait aujourd’hui. Mais le poids que lui donne sa célébrité, que lui donne son statut d’artiste à succès (parce que les artistes qui galèrent n’ont pas le même statut bien sûr) et le poids que lui donne notre attachement à son œuvre, décuplent son pouvoir de nuisance. Décuplent le mal qu’elle fait (parce qu’elle l’exerce ce pouvoir).
Quand on parle de déplateformer les célébrités qui ont un comportement abusif, pas éthique, c’est un peu de ça dont on parle. On ne pourra jamais leur enlever leurs millions, enfin ça demanderait une petite révolution et on en reparlera peut-être plus tard. Par contre, on peut leur couper la chique. Arrêter de les laisser répandre leurs idéologies dégueulasses partout. Pour moi, c’est aussi ne plus investir dans leur art, comme je l’ai dit tout à l’heure. On peut pas dire qu’on déplateforme Rowling si on achète son bouquin transphobe.
Ca c’est comment on peut concrètement changer nos comportements face aux célébrités quand elles déraillent. C’est relativement simple, même si ça demande déjà de faire quelques sacrifices, à défaut d’un terme moins mélodramatique.
Mais les questions de comment changer nos rapports avec les célébrités ; de comment faire en sorte qu’elles ne puissent plus avoir ce pouvoir et pas juste comment essayer de leur retirer ; de comment éviter les relations parasociales trop investies et donc l’investissement émotionnel dans une personne qu’on ne connaît pas ; de comment être capable de comprendre qu’on peut aimer une œuvre, l’art, admirer une personne sans pour autant que ça donne un blanc-seing à cette personne pour n’importe quel comportement ou idéologie qu’on n’accepterait pas de nos proches. Ces questions, elles, sont bien plus complexes et demandent de réfléchir à notre société, à nos relations aux personnes, à l’art, à la culture, à l’histoire, à la politique… Bref, ce sont des questions qui vont nous prendre un peu plus de temps… Ça tombe bien, on a un podcast pour ça. Et le prochain épisode qui sortira le 15 octobre, sera un épisode qui abordera la religion, comment faire quand on est l’idole, et plein d’autres sujets surprenants, avec ma première invitée : Marcy Ericka Charollois.