Magali Milbergue

Magali Milbergue

Créatrice web, accompagnatrice, formatrice et inclusion advocate.

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Burn Your Idols

Ce transcript est fait pour permettre aux personnes qui en ont besoin d’avoir une sécurité pour ne pas perdre le fil de ma conférence.

C’est un outil d’accessibilité, il ne s’agit pas d’une ressource partageable ou réutilisable.

Pour cette première version c’est un transcript très basique, par manque de temps je n’ai pas peu en faire quelque chose de mieux. Si vous avez des conseils pour l’améliorer, n’hésitez pas à m’en faire part !

Transcript

SLIDE 0 – TITRE

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue. Avant de commencer la conférence, une petite annonce logistique.

 

SLIDE 1 – ACCESSIBILITE

Pour les personnes sourdes et malentendantes, j’ai préparé un transcript de la conférence, vous pouvez le trouver en suivant le QR code affiché. Ce transcript ne sera pas un transcript exact, je ne récite pas un texte, mais vous trouverez pour chaque slide le contenu de ce que je dois dire, donc si vous perdez le fil à un moment vous pouvez le retrouver comme ça.

Pour les personnes malvoyantes ou aveugles, je ne décris pas mes slides parce qu’elles sont décoratives. J’utilise mes slides pour rythmer visuellement ma conférence, pas pour ajouter du contenu. Les rares fois où il y a du contenu, je le dis aussi à l’oral donc vous ne manquez aucune information.

Si vous voyez des manques en termes d’accessibilité durant ma conférence, n’hésitez pas à me faire un retour par la suite. Je suis toujours preneuse de feedbacks pour améliorer l’inclusivité de mes conférences.

 

SLIDE 2 – TITRE

J’ai une conférence qui s’appelle « Du social à la tech – plaidoyer en faveur des profils atypiques ». Dans cette conférence, je parle de tous les profils qui s’éloignent du profil typique de la tech. Bien sûr quand on parle d’inclure des profils différents, surtout quand on est une femme, tout de suite ce que le public reçoit c’est la question de l’inclusion des femmes dans la tech. C’est logique, c’est la question qui a le plus de visibilité, c’est aussi la plus évidente. Mais cette conférence que je fais n’est pas centrée sur la question de la féminisation de notre industrie, je fais d’ailleurs très attention de parler inclusion des personnes racisées, inclusion des personnes handicapées, inclusion des personnes LGBTQIA+, inclusion des personnes en reconversion, etc.

Pourtant, comme je suis une femme, et que c’est souvent ça que les gens voient en priorité (parce que je suis aussi handicapée et LGBTQIA+), souvent il y a une partie du public qui après cette conférence ne me parle que de la question des femmes. J’ai l’habitude, ça me chagrine mais ça ne me surprend plus.

Ce qui m’a surprise par contre, c’est la fois où un homme qui avait assisté à ma conférence est venu me voir et m’a demandé si je connaissais Ada Lovelace. J’ai répondu que oui, et là, il m’a expliqué qu’il venait de découvrir son existence et que ça avait complètement changé sa vision de la tech. Clairement, les femmes avaient toujours été là ! Au début, je hochais la tête en souriant. Puis mon sourire s’est un peu figé quand j’ai réalisé, que son argument n’était pas « okay, j’ai découvert que les femmes avaient leur place dans la tech et je suis prêt à leur laisser cette place » mais plutôt « les femmes ont toujours été dans la tech sans avoir de place et sont capables de choses extraordinaires ! Donc y a pas de problème. » C’était un peu du « inspiration porn », un terme qui est pas mal utilisé dans le milieu militant handicapé, et qui critique les personnes qui utilisent l’exemple d’une personne handicapée (ou ici une femme) qui a réussi malgré de très gros obstacles et qui donc quelque part évacue le problème qu’on essaie de pointer du doigt.

L’idée c’est « elle a réussi alors que c’était vraiment impossible, donc c’est possible ! ». Ce qui n’a aucun sens, mais est exactement ce que ce monsieur était en train de me dire.

C’est cette conversation qui m’a fait dire qu’il fallait qu’on réfléchisse à comment on présente les rôles modèles féminins dans la tech. Je suis rentrée chez moi et j’ai écrit un abstract, que j’ai ensuite réécrit quelques jours plus tard pour qu’il soit un peu moins énervé.

 

SLIDE 3 – HELLO WORLD

Donc moi c’est Magali et avant d’être dans la tech j’étais une travailleuse sociale. Ça fait plus de vingt ans que je m’intéresse aux sciences sociales et aux enjeux sociaux. J’ai été formée professionnellement à ces questions, j’ai travaillé sur le terrain sur ces questions et ça reste au cœur de mes préoccupations et de mes actions militantes.

Vous pouvez voir derrière moi que je suis concernée par pas mal d’enjeux de société en étant LGBTQIA+, handicapée et neuroatypique pour n’en citer que trois. C’est certainement une des raisons pour lesquelles je me suis intéressée au féminisme aussi tôt, ce qui m’a menée à devenir une activiste et à militer pour plus d’inclusion et de diversité dans la tech (mais dans la société en général aussi).

J’utilise le pronom elle et je suis complètement gaga de mes chiennes, ça n’a aucun rapport avec cette conférence, mais comme pleins de gens qui aiment leurs animaux de compagnie, je passe mon temps à en parler même quand c’est pas pertinent. (n’hésitez pas à partager vos photos de vos animaux de compagnie avec moi après la conf, je suis toujours preneuse)

 

SLIDE 4 – HELLO DOGS

D’ailleurs tant qu’à faire, voici mes chiennes : la grande c’est Plume, c’est la chienne de mon colocataire, la petite c’est Trufa, je suis son humaine. Profitez de la mignonneté pendant que prends une inspiration avant de plonger dans le sujet.

 

SLIDE 5 – WOMEN IN TECH

Puisqu’on en parlait, Ada Lovelace a vécu entre 1815 et 1852 et est la première personne à avoir écrit un programme informatique. Personnellement, je ne m’en suis toujours pas remise. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut écrire un programme informatique alors que l’informatique n’existe pas encore. Donc clairement, Ada et moi on est sur des plans très différents d’intelligence.

Ada Lovelace était la fille de Lord Byron (qui s’est fait jeter par sa femme après avoir essayé de la violer plusieurs fois, un homme charmant donc, et n’a jamais été dans la vie d’Ada). Sa mère, Annabella, adorait les mathématiques et les a enseignés à Ada, qui devint une sorte de génie dans le domaine.

Ce qui est intéressant avec cette histoire c’est que très vite, sa mère a voulu qu’elle arrête ses recherches scientifiques. Il était temps de se marier, d’être une bonne épouse, etc. Ada a passé sa vie à demander la permission à des gens de faire ce qu’elle voulait faire, d’abord sa mère puis son mari.

Sa vie était loin d’être toute rose. Si elle avait été un homme on aurait sûrement plusieurs volumes de travaux scientifiques de sa part. Mais comme elle était une femme, les mathématiques devaient passer après tout le reste. Personne ne l’a jamais autorisée à en faire autre chose qu’une sorte de hobby un peu bizarre.

Elle est morte d’un cancer de l’utérus à 36 ans et est plus ou moins tombée dans l’oubli jusqu’à ce que les féministes fassent un travail de mémoire et la sortent de l’ombre.

 

SLIDE 6 – WASH YOUR WOMEN ?

Donc, vous l’avez compris, ma première critique de notre utilisation des rôles modèles tourne autour du « women washing » qu’on en fait. On utilise les rôles modèles historiques pour cacher les enjeux modernes. Au lieu de parler du manque des femmes dans leurs équipes, les entreprises vont par exemple faire une vidéo sur Ada Lovelace qu’elles vont publier sur leurs réseaux. Ça  leur donne une bonne image, et donne l’impression qu’elles s’intéressent à ces questions. Sauf qu’en réalité, ça ne dépasse jamais ce stade. « On est les héritiers d’Ada Lovelace » nous dira une entreprise avec aucune femme dans ses équipes de dev par exemple.

Et on va même jusqu’à utiliser le women washing et ces rôles modèles historiques pour silencier la parole des personnes qui essaient de faire bouger les lignes sur ces enjeux. Pas forcément de façon agressive. Mais on va diluer la parole des femmes d’aujourd’hui, qui essaient de faire comprendre les problématiques qu’elles rencontrent dans la tech, en parlant des femmes d’hier.  

 

SLIDE 7 – A history of violence

Et il y a aussi une mauvaise compréhension de l’histoire. Oui, les femmes ont été invisibilisées. Oui, les femmes ont fait partie de la tech, ont bâti la tech, et c’est bien d’en parler. Mais ces derniers temps je vois plein de gens, hommes, femmes, entreprises, dire que les femmes historiquement « dominaient » la tech. Et ça, on va tout de suite se mettre d’accord, c’est faux. Les femmes n’ont jamais dominé la tech. Il ne faut pas fantasmer un passé où la tech était une industrie où les femmes avaient le pouvoir.

Parce que oui, on était les plus nombreuses au début de l’industrie. Mais on n’avait absolument aucun pouvoir. On était les petites mains de la tech. D’ailleurs, les femmes étaient payées comme des secrétaires dans la tech. Elles étaient précaires. Et elles étaient mal considérées. Elles ont créé énormément de choses, parce qu’elles étaient au front, c’étaient elles qui faisaient le job, mais il faut se rappeler qu’on considérait que ce qu’elles faisaient n’avait aucune valeur. Et les rares fois où il y avait une valeur reconnue, c’étaient les hommes qui en tiraient les lauriers.

D’ailleurs, y a plein d’équipes dans la tech qui s’appelaient les « machin girls ». Parfois même les « nom d’un homme girls ». Du nom du chef. Les femmes ont été reconnues a posteriori. Certaines ont pu faire carrière, comme Grace Hopper par exemple, entre autre créatrice du langage COBOL, mais ce sont des exceptions. La plupart des femmes historiques de la tech restent complètement inconnues et n’ont pas fait carrière.

 

SLIDE 8 – MONEY, MONEY, MONEY

Il faut dire que les femmes étaient plus nombreuses dans la tech, tant qu’il n’y avait pas d’argent à s’y faire ni de prestige social à en tirer. A l’époque, le software n’intéressait personne. Les hommes étaient dans le hardware, bien payés et vus comme des intellectuels. Les femmes dans le software, vues comme des secrétaires. D’ailleurs, hardware/software sont nommés comme ça parce que le premier était le domaine masculin, donc HARD, le deuxième, un domaine féminin, donc SOFT. On peut voir les a priori sexistes rien que dans comment on a nommé ces domaines.

Et donc à un moment, le software a commencé à lui aussi sembler avoir un intérêt : rapporter de l’argent et du statut social. C’est à ce moment là que les hommes sont venus en masse dans l’industrie et ont chassé les femmes. Ils les ont chassées, y a pas d’autres mots pour définir ça. Du coup, des femmes qui avaient créé l’industrie se sont retrouvées à la porte. Beaucoup sont devenues femmes au foyer. Il y a plein d’histoires de gens qui découvrent que leur grand-mère était une femme de la tech avant de retrouver le chemin plus classique pour son époque.

Et depuis, rien n’a vraiment changé. On aurait pu croire, qu’avec l’émancipation des femmes que l’industrie se rouvrirait naturellement à elles. Bah c’est pas vraiment le cas. On est moins qu’on n’était dans les années 80. On est même moins qu’on était y a 5 ans. Les femmes quittent toujours la tech. Et je dirais même, les hommes chassent toujours les femmes hors de la tech. Parce que, on parle de plus en plus souvent du problème des jeunes filles qui ne vont pas vers la tech. Très bien, c’est important. Il faut parler de ce sujet et mettre des choses en place pour attirer les jeunes filles vers les études d’informatique. Mais moi ce qui me fascine, c’est le fait que les femmes qui sont dans la tech, la quittent. 50% des femmes de la tech la quittent avant 35 ans. C’est énorme. Et il y a sûrement pas mal de facteurs qui expliquent ça, en attendant, quand on parle avec ces femmes, quand on lit les études, on voit que la raison principale c’est le sexisme. Les cultures d’entreprises toxiques, le harcèlement sexuel, le plafond de verre, les inégalités de traitement… Donc il y a toujours une guerre interne dans la tech qui est faite pour chasser les femmes.

 

SLIDE 9  – PINK TINTS MY WORLD

Il faut arrêter avec cette représentation idéalisée de notre histoire et de nos rôles modèles historiques.

C’étaient pas des « girl boss », même celles qui ont créé ou révolutionné l’industrie n’avaient aucun pouvoir au sein de cette industrie. La plupart ont eu des reconnaissances posthumes mais rien de leur vivant, beaucoup sont mortes dans la précarité. Et la plupart ont été oubliées.

Il est important de reconnaître leur valeur, et leur valeur c’est reconnaître la réalité de leur parcours. Idéaliser leur vie, leur apport et leur carrière c’est nier une partie de leur force. En faire de l’inspiration porn c’est ne pas apprendre de leurs difficultés et c’est ne pas respecter ce qu’elles ont dû affronter.

 

SLIDE 10 – WOMEN IN TECH

On parle pas mal d’Hedy Lamarr ces dernières années. Ayant vécu entre 1914 et 2000, cette femme avait tous les talents : actrice, productrice et inventrice. A 27 ans, pendant la seconde mondiale, elle dépose un brevet pour une solution permettant de rendre indétectable les torpilles. L’invention est tellement révolutionnaire que l’armée ne comprend même pas vraiment son intérêt et elle ne sera utilisée que dans les années 50. Par la suite, beaucoup de gens comprennent l’intérêt de son idée, puisque ça a mené au GPS et au Wifi.

Sauf qu’Hedy, qui continuera à inventer toute sa vie, a considéré qu’elle faisait pour l’effort de guerre contre les nazis et a donc déposé un brevet libre de droits. Dans les années 70, quand elle a réalisé que son invention était en train de rendre riche toute une industrie, elle a commencé un combat pour en récupérer les droits. Ça n’est jamais arrivé. L’estimation de ces droits s’élève à 30 milliards. Elle n’en a pas touché un sou, d’autres se sont enrichis à sa place.

Il faudra attendre sa mort, en 2000 pour qu’elle commence à être vraiment reconnue à sa juste valeur. Et depuis elle cumule les récompenses posthumes. Ça lui fait une belle jambe.

 

SLIDE 11 – TEENAGE DREAMS

Tous ces rôles modèles historiques qui maintenant on pas mal de visibilité, pendant longtemps on n’en parlait du tout. La plupart ont été ressorties de l’invisibilisation par le travail d’historiennes féministes, mais quand j’étais gamine ou ado, même en creusant, on avait vraiment une image 100% masculine de la Tech.

Moi j’ai complètement grandi sans ces rôles modèles. J’ai principalement appris leur existence une fois adulte ou carrément pendant ma reconversion, puisque j’ai fait tout un travail de recherche sur le sujet pendant mon bootcamp.

J’étais ado au début des années 2000, je suis une millenials à fond. Et je faisais partie de ces ados qui passaient leur temps sur internet. Aujourd’hui, ça ne choque plus grand monde. Tout le monde est sur internet de façon régulière, ou presque. Mais quand j’étais au collège ou au lycée, c’était encore assez rare. Y avait pas encore les gros réseaux sociaux et en fait j’avais encore plein de camarades qui n’avaient même pas accès à internet chez eux.

Bref, j’étais déjà « very online ». Et bien sûr, je me suis vite intéressée au code. A l’époque internet appartenait quand même majoritairement à celles et ceux qui faisaient internet. Donc j’ai bidouillé un peu et je me suis dit que le code ça pourrait être une bonne idée d’orientation post bac. Sauf que les adultes m’ont répondu que c’était une très mauvaise idée. L’argument principal c’était que c’était une industrie masculine où je ne trouverais ma place.

Et de fait, je connaissais aucune autre fille qui voulait se lancer dans le code. Et je n’avais aucune représentation de femme dans la tech. Les seuls modèles que j’avais étaient fictionnels.

 

SLIDE 12 –  GIRLS WANT TO HAVE FUN

Et ces deux modèles étaient Mia (ce qui a été mon pseudo sur internet pendant longtemps d’ailleurs) et Willow.

Mia était un personnage dans une série australienne qui s’appelait Crash Zone (dans la version originale, elle est surnommée Pi et pas Mia, mais je n’ai vu que la VF). La série racontait l’histoire d’un groupe d’ados qui était embauché par une boite de jeux vidéos pour les tester et pour aider la boite à rester moderne. Ils étaient tous passionnés d’informatique et il y avait trois garçons et deux filles. Quand j’ai vu cette série au début de l’adolescence, je pouvais vraiment m’identifier aux personnages.

Willow, j’imagine que plus d’entre vous la connaissent, c’est la meilleure amie de Buffy dans la série éponyme. Le truc super cool avec Willow, c’est que, particulièrement au début, c’était un personnage très timide, qui n’avait pas confiance en elle. Le modèle première de classe un peu étriquée et pas mal moquée. Mais très vite on découvrait qu’elle avait une passion pour l’informatique. Et ça aidait beaucoup le groupe… Jusqu’à ce qu’elle devienne sorcière et que du coup ses talents de hackeuse passent un peu à la trappe.

Ces deux représentations, c’était tout ce que j’avais. Et tant que j’étais seule face à elles, ça allait. Mais quand je me suis retrouvée face à des adultes qui remettaient en question ma légitimité à vouloir une place dans la tech, d’un coup les défauts de ces représentations fictionnelles ont pris le dessus. Parce que le problème de la fiction c’est que ça déforme, parfois beaucoup, particulièrement les domaines qui sont pas très glamours. Vous trouverez jamais une série sur des médecins généralistes qui passent leurs journées à faire de la bobologie tranquille ou sur un avocat qui passe ses journées à rédiger des contrats. Bah c’est pareil avec l’informatique. Pour que ce soit intéressant au niveau fiction, il faut tout de suite aller dans les extrêmes.

Willow comme Mia étaient pas juste des filles qui aimaient l’informatique, elles étaient des génies. Capables de pirater à peu près n’importe quoi, totalement autodidactes et hyper assurées de leurs compétences dans la matière. En saison 2, à 16 ans, Willow remplace carrément leur prof d’informatique pour finir l’année quand elle meurt. Alors ouais, en primaire c’était moi qui débuggais l’ordi du prof quand on faisait atelier informatique, mais ça n’avait rien à voir. Donc quand on m’a dit que je n’avais pas ma place en informatique, j’ai même pas bataillé, ça m’a semblé cohérent, sage.

 

SLIDE 13 – HOW BIG IS YOUR BRAIN

C’est mon deuxième problème avec les rôles modèles, qu’ils soient historiques ou fictionnels, c’est qu’on n’a que les exceptionnels. Les exceptions. Les génies.

Est-ce que vous arrivez, vous, à vous identifier à ces personnes extraordinaires ? Quand vous entendez parler de Marie Curie, vous vous dites « ah oui, bien sûr, moi aussi je vais faire des sciences et avoir deux prix nobel » ? Quand vous lisez Frankenstein de Mary Shelley vous vous dites « ah bien sûr moi aussi à 18 ans je vais m’ennuyer un jour de pluie et créer un nouveau genre littéraire » ? Si c’est le cas, super, vous avez un égo qui vous mènera loin. Moi ça me crée plutôt une angoisse, où je me dis que je serais jamais aussi douée.

 

SLIDE 14 – Epiphany

Quelques semaines après la discussion post-conférence sur Ada Lovelace dont je vous parlais au début, je lis « Les oubliées du numérique » d’Isabelle Collet. Et là BOUM ! Un chapitre complet sur la question des rôles modèles. Au début je lis en hochant de la tête et en surlignant ABSOLUMENT TOUT. Puis, je déprime un peu… Parce que globalement, ce sujet que je trouvais super novateur, il existe déjà, par une sociologue que j’admire et qui fait un boulot très affiné.

Après un petit doute sur l’intérêt que j’aurais à aborder le sujet moi-même, je reprends du poil de la bête et me dit que j’aurais toujours des choses à dire qui me sont personnelles et des façons différentes d’amener les arguments.

Je pourrais vous citer tout le chapitre du livre sur le sujet tellement il explique bien les enjeux et pointe bien du doigts les défauts de nos utilisations des rôles modèles. Mais au lieu de ça je vais vous citer une partie qui a été un vrai déclic pour moi et qui m’a légitimée dans ce que je ressentais quand on me parlait d’Ada Lovelace et cie.

« Enfin, des études ont montré que l’impact positif des role models peut être contrecarré par l’image de personnes au succès trop ostensible, qui font que la science semble encore plus inaccessible à celles qui doutent de leurs capacités. »

 

SLIDE 15 – TOKENISATION

Bah oui. En mettant en avant les femmes extraordinaires de la tech, on en fait des exceptions. Les femmes normales de la tech ne sont pas érigées en modèles, uniquement les femmes exceptionnelles. Donc, pour avoir une place dans la tech, une femme a besoin d’être exceptionnelle.

Ça se ressent dans comment on est traitées dans la tech d’ailleurs. C’est pas uniquement une limite qu’on se met à nous-mêmes. N’importe quelle femme qui parle d’un sujet technique sur internet va être passée à la moulinette pour vérifier qu’elle maîtrise bien le sujet à 3000%, alors que les hommes font du contenu tech dès qu’ils commencent leurs formations et tout le monde trouve ça inspirant. J’ai vu des femmes se prendre des vagues énormes de harcèlement parce qu’elles avaient voulu partager un truc technique qu’elles venaient de découvrir. Si on veut pouvoir parler de technique, il faut qu’on soit des expertes. Qu’on soit exceptionnelles.

On fait des femmes de la tech des tokens. Elles sont l’exception à la règle et en plus servent d’arme contre les autres femmes qui cherchent à se faire une place dans la tech. Parce qu’il faudrait être aussi exceptionnelles que celles qu’on met avant pour pouvoir avoir le droit d’être là.

Pour moi, tant qu’on utilisera les rôles modèles comme des exceptions, on fera des femmes de la tech des exceptions, or si on veut avoir plus de femmes il faut que ça devienne la norme.

 

16 – BURN !

Pour moi, il faut tout reprendre à zéro. Nos rôles modèles sont contreproductifs et parfois même utilisés comme munitions contre les femmes qu’ils sont sensés inspirer.

L’idée de brûler ses idoles, dont je m’inspire ici, est une idée que je vois depuis longtemps dans les milieux militants. L’idée c’est que on peut reconnaître l’importance d’une personne dans un domaine, on peut apprécier le travail d’une personne dans un domaine, même l’admirer, sans pour autant mettre cette personne sur un piédestal qui la mettrait au-dessus de nous. Sans en faire un symbole.

C’est souvent utilisé ce principe pour parler de quand nos idoles s’avèrent être des gens détestables, voire dangereux. Par exemple, j’ai parlé de Willow tout à l’heure. Je suis une fan de la première heure de Buffy. Quand je dis fan, vous êtes loin d’imaginer à quel point cette série a nourri mon imaginaire, m’a permis de me construire en tant que personne qui écrit de la fiction et en tant que féministe. Pendant presque vingt ans, j’ai érigé Joss Whedon, le créateur de la série, à un statut d’idole que peu d’autres artistes ont à mes yeux. Je ne suis pas trop du genre à être fan des personnes, je suis plutôt fan des œuvres souvent, mais avec Whedon, tout collait. C’était le créateur de plusieurs de mes fictions préférées et c’était un féministe. Ou en tout cas, il avait tout le discours et semblait suivre l’éthique qui va avec… Donc vraiment j’avais un attachement presque parapersonnel à Joss Whedon.

Jusqu’à ce qu’il y a quelques années de ça, pleins de choses sortent sur lui. Comment il avait tendance à mal traiter les acteurs noirs de ses franchises. Comment il avait trompé sa femme à tours de bras tout en capitalisant sur un discours féministe à propos de son couple. Et comment, finalement, il a en fait traité une bonne partie de ses actrices comme de la merde. Lui qui capitalisait sur les femmes, puisqu’il écrivait des histoires au centre desquelles se trouvaient principalement des femmes.

Globalement, Joss Whedon a utilisé le féminisme pour faire sa carrière et trouver une niche où il avait à l’époque plus ou moins le monopole. Quand j’ai découvert ça, comme j’avais cet attachement très fort à Joss Whedon, ça a été très dur. Je me suis littéralement construite en partie grâce aux fictions qu’il a créées, savoir que ces fictions étaient en fait son terrain de chasse pour être un des prédateurs qu’il dénonçait, c’était compliqué à digérer. C’était comme si j’avais découvert un secret de famille, une partie de ma construction était dévoilé comme étant en fait très différent de ce que j’avais toujours pensé.

Ça m’a aussi mise dans un conflit de loyauté terrible. Jusqu’à présent, découvrir qu’une star était une personne horrible avait toujours été une expérience plutôt neutre pour moi. Mais avec Whedon, ça me demandait de recalibrer toute une partie de mon histoire personnelle et de mon rapport à ses fictions mais aussi à la fiction en général.

Et je trouvais ridicule d’être dans cet état juste parce qu’un artiste qui n’avait aucune idée que j’existais était un gros misogyne. Donc pour moi, ça a vraiment scellé l’idée qu’il faut brûler nos idoles. On peut apprécier une œuvre, on peut trouver une personne connue sympathique, mais il faut faire attention à ce qu’on investit. Il est complètement absurde de risquer le genre de remise en question que j’ai risquée à cause de parfaits inconnus.

 

SLIDE 17 – RESPECT HERSTORY, EMBRACE MODERNITY

Là pour nos rôles modèles, il ne s’agit pas vraiment de questions éthiques. Je vais pas vous apprendre des dossiers sur Ada Lovelace. Mais par contre, l’idée c’est de brûler le modèle de nos rôles modèles. Aujourd’hui, ce modèle c’est : les femmes exceptionnelles, principalement les mortes. On dit souvent qu’une bonne féministe est une féministe morte, bah là c’est pareil, parce que c’est quand même mieux si on peut parler à leur place. C’est ce modèle que je veux brûler.  

On doit parler de l’histoire, c’est super important. Je ne dis pas qu’il faut oublier toutes ces femmes. Mais il faut aussi parler des petites femmes de l’histoire. On doit mettre en valeur les femmes historiques de la tech qui étaient normales.

Mais plus que ça, il faut aussi construire d’autres rôles modèles. Parce que les rôles modèles historiques c’est bien, mais personnellement j’ai du mal à me projeter sur l’histoire d’une personne morte avant même ma naissance. Ou sur l’histoire de quelqu’un qui a fait sa carrière alors que mes parents étaient à peine nés. L’histoire c’est super important, mais c’est pas tout ce qu’on a.

 

SLIDE 18 – WOMEN IN TECH

Joan Ball est née en 1934. Elle est la première personne à créer un service de rencontre en ligne qui ait eu du succès commercial. Quand on connaît l’impact de l’industrie des sites de rencontre, elle était en avance sur son temps.

Elle a fait ça au début des années 60. Et se prend bien sûr une réputation de proxénète. Ce qui aujourd’hui est vu comme une industrie qui rapporte énormément était à l’époque vu avec un regard très critique.

A presque 40 ans, elle est diagnostiquée comme dyslexique, ce qui explique plein de choses sur son parcours mais ne l’aide pas à avoir une bonne image d’elle-même. Le handicap, dans les années 70, c’est loin d’être vu positivement. Et c’est à cette période qu’elle vend son entreprise et cumule les problèmes personnels et semble aujourd’hui regretter avoir sacrifié sa vie personnelle pour la réussite pro. Un choix qui n’est pas demandé aux hommes.

 

SLIDE 19 – MEN ARE PROFESSIONALS, WOMEN ARE HOBBYISTS

Joan Ball a quand même vécu de son site. Elle n’a pas fait fortune mais elle en a vécu. C’est plutôt une exception.

La plupart des communautés web ont été créées par des femmes. Les premières communautés, les premiers réseaux sociaux, des femmes sont derrière. Ce qui est logique, c’est la même chose irl. Mais quasiment aucune femme n’a fait fortune avec la création de ces communautés qui parfois ont été maintenues sur des décennies.

Les hommes par contre ont repris les principes et en ont tiré des millions, voire des milliards.

C’est pas du tout surprenant. Là on touche à un truc qui existe dans pleins de domaines : les femmes sont des amatrices, les hommes des professionnels. C’est comme ça que la couture est une activité de femmes, mais 90% (au doigt mouillé) de la haute couture est faite par des hommes. La cuisine c’est pareil. Les femmes ont la tâche quotidienne de la cuisine, les grands chefs sont des hommes.

Bah là, c’est pareil. Les femmes ont créé bénévolement ou quasi bénévolement pleins de choses en informatique et les hommes en ont récolté les fruits.

SLIDE 20 – 99 PROBLEMS

J’ai donc pas mal de problèmes avec nos modèles de rôles modèles. Pour résumer, histoire qu’on prenne bien l’ampleur de ce que je considère être les dégâts, voici donc ce que je reproche à notre utilisation des rôles modèles aujourd’hui :

  • Ils servent au women washing. Grâce à ces rôles modèles historiques, les entreprises, les gens même parfois, se donnent une image éthique, agissent comme si elles se sentaient concernées par le problème et voulaient agir mais en fait s’arrêtent là.
  • Ils servent de token. On utilise ces rôles modèles comme représentation des femmes de la tech et on refuse d’imaginer quoi que ce soit d’autre. Pire, on utilise ces rôles modèles comme sortes de boucliers qu’on présente devant les femmes d’aujourd’hui qui essaient d’alerter sur le problème. Ces quelques femmes qui ont marqué l’histoire de l’industrie en bravant d’énormes obstacles deviennent malgré elles les protectrices du statu quo.
  • Ils sont contre-productifs. En ne choisissant de ne mettre en avant que les femmes exceptionnelles de la tech, on fait en sorte d’avoir des rôles modèles qui ne permettent de s’identifier à la plupart des femmes. Personnellement, quand je vois un tableau de Frida Kahlo, je ne me dis pas « okay c’est dans mes cordes ! » Pour pouvoir imaginer faire de la peinture, il me faut aussi des rôles modèles moins extraordinaires.
  • Ils sont idéalisés. On cache la réalité de l’histoire de notre industrie en réécrivant une histoire où les femmes auraient dominé la tech, et où les femmes utilisées en rôles modèles auraient eu une vie parfaite pleine de reconnaissances. En attendant, les seuls à être starifiés dans la tech, voire carrément vus comme des dieux, de leur vivant ce sont des hommes : Steve Jobs, Elon Musk, Bill Gates… On n’a pas de femme qui ait vécu la même starification, qui soit devenu autant un symbole de la tech alors qu’on a des femmes qui ont fait bien plus pour la tech qu’Elon Musk par exemple (au hasard).
  • Ils donnent une place et une image aux femmes de la tech qui n’a rien à voir avec ce qu’on devrait exiger. Si on suit le discours autour des rôles modèles, on devrait toutes être exceptionnelles, toutes être des espèces de mères sacrificielles de la tech, et on devrait surtout faire bien attention à rester à notre place et à laisser les hommes profiter de l’industrie. Si on reste uniquement sur les rôles modèles historiques, c’est le discours qu’on amène : la seule place qu’on peut avoir, c’est celle-ci.

SLIDE 21 – The Who

Donc pour moi un rôle modèle qui serait efficace permettrait d’inspirer les femmes à devenir travailleuses de la tech, mais aussi à normaliser la présence des femmes dans la tech.

Donc qui pourrait être ce genre de rôle modèle ?

Absolument n’importe quelle femme travaillant dans la tech. Pour moi, y a aucun enjeu de niveau technique, de révolutionner l’industrie. N’importe quelle femme qui est dans l’industrie peut inspirer et normaliser.

Par exemple, j’ai été mentore avec une association qui s’appelle Social Builder   où j’accompagnais des femmes sur leurs parcours de reconversion, alors que j’étais encore très junior. Mon niveau technique n’avait aucune importance. Ce qui était important c’était que je sois à l’écoute et que je puisse partager mon expérience et donner des conseils quand c’était pertinent.

J’ai aussi parlé de mon parcours à des femmes qui cherchaient un domaine vers lequel se reconvertir grâce à cette association. Ce sont des moments où on n’est pas sûres d’avoir un impact, parce qu’on se contente de parler du métier de dev, de sa reconversion, de la réalité de l’industrie… Il y a quelques semaines j’ai une femme qui m’a contactée pour me dire qu’elle avait assisté à une de mes présentations et que grâce à moi elle avait fait une reconversion et était aujourd’hui développeuse. J’étais au début de mon parcours à l’époque et malgré tout j’ai réussi à inspirer. Ça prouve que vraiment il n’y a pas de limite à qui peut être un rôle modèle.

 

SLIDE 22 – WELL…

Hum. Pas de limite… Donc les hommes aussi ?

Oui les hommes peuvent être des rôles modèles. Et ils peuvent être des rôles modèles pour les femmes.

Par exemple, avant de vouloir faire du code, quand j’étais enfant, je voulais être Jacques-Yves Cousteau. Non mais, littéralement. J’avais vu à peu près tous ses documentaires et mon rêve c’était de vivre sur un bateau, d’explorer les fonds marins, d’étudier la faune marine et de faire des documentaires sur le sujet. J’étais même prête à porter un bonnet en laine rouge si vraiment c’était obligé.

Je n’avais aucune représentation de femme qui fasse le même métier, mais ça n’était pas un problème. Sûrement parce que j’étais très jeune et n’avais pas encore conscience des enjeux de sexisme dans la société… Mais aussi sûrement parce que c’était un choix de carrière très spécifique. Il n’y a qu’un Jacques-Yves Cousteau, c’est pas une industrie.

Et au courant de ma vie, j’ai eu des rôles modèles masculins. D’ailleurs Joss Whedon en était un, c’est sûrement pour ça que j’ai aussi mal pris la découverte du fait que tout son discours était que du flan. Et j’ai encore des rôles modèles masculins et même dans la tech, j’en ai quelques-uns. Souvent sur le côté technique. Des hommes qui font du super boulot et qui m’inspirent, y en a plein.

Mais est-ce que les hommes peuvent inspirer les femmes à venir dans la tech ou à y rester ?

J’aurais tendance à dire que non. Pas tant que l’industrie sera ce qu’elle est. Dans une industrie où les femmes et les hommes ont leurs places, pour moi la réponse serait sûrement différente. Mais pour l’instant, je ne vois pas comment considérer un homme comme un rôle modèle alors que les femmes et les hommes ont des expériences tellement différentes dans la tech qu’on pourrait croire qu’on n’est pas dans la même industrie.

Pour qu’un rôle modèle soit efficace, il faut qu’il y ait un minimum de potentiel d’identification. Et je ne vois pas vraiment comment je peux m’identifier à un homme qui ne vit pas le sexisme de la tech, qui n’aura jamais à affronter le problème du plafond de verre, qui ne vit pas 1% du harcèlement que je vis en ligne, qui n’a jamais été discriminé ou harcelé sexuellement. Ces problématiques sont au centre de mon expérience dans la tech, je ne peux pas les laisser de côté. Si j’entends un homme parler de son expérience dans la tech, de sa carrière, il y a toujours un gap. Ca ne ressemble pas à ce que je vis, et donc je peux pas m’identifier ou projeter.

 

SLIDE 23 – No choice

Okay, mais qui voudrait être rôle modèle ?

Parce que, clairement, y a du boulot. C’est du boulot. Ça demande du temps, de l’énergie et on n’en a pas forcément. Pour moi c’est tout à fait légitime en tant que femme dans la tech, alors qu’on a déjà un million d’obstacles à surmonter, de pas avoir envie de se mettre ce poids là en plus, ou de ne pas pouvoir. Se mettre en avant c’est aussi se rendre vulnérable. Et on a déjà une cible sur le dos quand on est des femmes dans la tech, alors en rajouter encore plus, c’est un peu du masochisme.

Sauf qu’en fait, la question du consentement, comme souvent, elle passe un peu par la fenêtre. Parce que la réalité c’est qu’en tant que femmes dans la tech on est par défaut des rôles modèles. Rien qu’en existant dans cette industrie, on devient des modèles, on devient des représentantes.

Rien qu’en existant dans une équipe, on normalise la présence de femmes dans la tech. Et le problème aussi, c’est qu’on devient une représentation des femmes dans la tech. Moi quand je parle du manque d’inclusion des femmes dans la tech j’ai régulièrement des hommes qui me disent « ah oui mais j’ai eu une collègue une fois, elle était complètement incompétente, plus jamais ! ». J’ai jamais entendu quelqu’un dire « j’ai eu un collègue masculin incompétent, plus jamais ! » bizarrement. Pourtant je suis sûre que tout le monde ici dans la salle a déjà eu des collègues masculins incompétents.

Un homme de la tech ne devient pas par défaut le représentant de tous les hommes de la tech. Ça ne marche pas comme ça. On reconnaît aux hommes leur individualité. Les femmes, elles, c’est différent. On est visiblement une sorte de blob indivisible représenté par chacune.

A une autre représentation de « Du social à la tech » par exemple, j’ai eu un homme qui a monopolisé la discussion qui a suivi en me parlant des trois femmes de sa promotion en école d’ingénieur qui étaient vraiment nulles, qui d’ailleurs faisaient faire leurs devoirs par les hommes (mais étaient quand même en échec, faudra m’expliquer). Et c’était pour lui la seule existence de femmes dans la tech. Il n’en parlait pour détourner l’attention du problème, pour lui, c’était les femmes de la tech et l’argument pour ne pas non plus « forcer les femmes à aller où elles ne veulent pas aller ».

Bon en vrai on n’a tellement pas notre place dans la tech, que croyez-moi si on est là c’est qu’on l’a voulu. Mais ça, cet homme ne voulait pas l’entendre, il était très inquiet à l’idée qu’on force des pauvres femmes innocentes à aller dans la tech.

 

SLIDE 24 – WOMEN IN TECH

Chieko Asakawa est une femme japonaise née en 1958. Devenue aveugle dans l’adolescence après un accident, elle est l’une des pionnières en termes de logiciels pour les personnes aveugles et malvoyantes. Elle est entre autres la créatrice d’un traitement de texte pour le braille, d’une application pour l’amélioration de l’accessibilité du streaming et est surtout la créatrice du plugin de navigateur speech-to-text d’IBM, le plus utilisé à son époque.

Pour quelqu’un qui a inventé tellement d’outils impressionnants, elle n’a commencé à recevoir des prix pour son travail que dans les années 2010 et reste un nom relativement peu connu dans la liste des grandes chercheuses et grands chercheurs de la tech encore vivantes et vivants.

 

SLIDE 25 – THE GOOD MODEL

Donc pour moi c’est quoi un bon modèle de rôles modèles ?

Le mot clé : diversité !

Il faut sortir de l’idée de « la femme » et revenir à « les femmes ». Pour moi, on ne peut pas avoir qu’une poignée de rôles modèles, il en faut pleins ! Et il en faut avec des parcours, des backgrounds, des identités, des approches, des opinions différentes.

Les femmes sont très différentes les unes des autres. Quelqu’un qui sera un bon rôle modèle pour l’une, ne le sera pas forcément pour l’autre. Si avec mon parcours de femme handicapée, lgbtqia+ reconvertie je peux servir de rôle modèle à certaines femmes qui se reconnaissent dans mon parcours mais aussi dans ma façon de parler des choses, c’est super ! Mais d’autres femmes auront besoin de rôles modèles à des intersections d’identités différentes, et avec des façons d’aborder les sujets différentes. C’est normal. J’ai beau être en grande recherche de représentation féminine dans la tech, je ne m’identifie pas pour autant automatiquement à chaque femme que je croise.

Il ne faut pas imaginer une ségrégation non plus. J’ai été mentore de femmes avec qui on n’avait à première vue pas grand-chose en commun et pour autant ça s’est super bien passé. Et ça pourrait ne pas matcher avec une femme qui me ressemble. L’important c’est de trouver les bons matches.

Et je dis bien, les, pas le. Personne ne se construit avec un seul rôle modèle. On en a besoin de plusieurs. Avec des facettes différentes. Certaines de mes rôles modèles m’apportent certaines choses, d’autres m’en apportent d’autres. C’est pour ça qu’on ne peut pas s’arrêter à quelques rôles modèles, il nous en faut une multitude.

 

SLIDE 26 – GIRL (EM)POWER

Et pour moi y a une facette très éthique à la question du rôle modèle. C’est nous les femmes qui savons ce dont on a besoin. C’est nous qui savons comment nous émanciper et nous empouvoirer. C’est à nous de créer les rôles modèles qui nous inspireront et qui normaliseront notre existence. C’est à nous d’être ces rôles modèles.

Et comme je considère que c’est un projet éthique, pour moi il y a une sorte de démarche qui évitera qu’on se perde en chemin. Pour moi, une femme qui décide de devenir une rôle modèle active, elle doit faire certaines promesses.

  • Une promesse d’honnêteté, de transparence. On n’est pas là pour vendre du rêve, on n’est pas là pour jouer la starification, on est là pour partager nos expériences, de façon honnête. Quand des femmes qui pensent à se reconvertir me contactent, je suis toujours très transparente avec la réalité de l’industrie. Je donne les bons côtés, mais aussi les mauvais, et j’essaie d’apporter déjà des pistes de solutions à ces mauvais côtés. J’explique ce qu’on peut mettre en place pour les combattre. Mais jamais je ne peins une situation qui soit idéalisée, pour moi, ça fait partie de mes devoirs en tant que rôle modèle.
  • Une promesse d’empathie, de bienveillance. Je dis souvent que je n’aime pas le mot bienveillance, je lui préfère le mot empathie qui est moins vidé de son sens par le marketing, le management et le développement personnel. Mais quel que soit le mot que vous préférez, ce qui est sûr c’est que vous ne pouvez pas partir en tant que rôle modèle d’un point de vue négatif sur les personnes que vous essayez d’inspirer et de l’industrie que vous voulez changer. Vous devez être capable de mettre votre égo de côté pour avoir un rapport empathique aux personnes et à l’industrie. Reconnaître que les choses ne sont pas parfaites ne veut pas dire ne pas avoir d’empathie et de compréhension pour les « growing pains » de notre industrie.
  • Une promesse d’écoute, sans jugement et sans a priori. C’est toujours la même idée, on ne pas inspirer si on nie ce que les personnes vivent, si on se centre dans la discussion. Quand on est rôle modèle, c’est l’autre qu’on centre. Alors oui, on inspire par notre présence, notre partage d’expérience mais l’objectif c’est l’autre. On ne fait pas ça pour nous, mais pour celles qui viennent après et pour améliorer l’industrie. Il n’y a pas de gloire à tirer du fait d’être rôle modèle.
  • Et finalement, c’est presque malgré nous, mais en tant que rôle modèle on doit accepter de paver le chemin. Ça veut dire, accepter que les générations suivantes auront sûrement moins de difficulté. Ce qui est super mais peut parfois nous paraître injuste. Parce qu’en se mettant dans une position de vulnérabilité, en choisissant d’être une rôle modèle, on se complique encore plus la vie pour que finalement les autres aient ensuite une vie plus simple. Moi je ne suis pas une martyre donc y a des fois, j’avoue que j’ai un sentiment d’injustice. Mais c’est quelque chose qu’il faut apprendre à naviguer, autrement on risque de devenir des rôles modèles toxiques.

 

SLIDE 27 – RED FLAGS

Et attention, c’est très facile de devenir un rôle modèle toxique. Dans chacune de ces promesses, il y a des risques. Être un rôle modèle ça amène une certaine visibilité et des gens qui vous voient parfois de façon très idéalisée. Attention à ne pas tomber dans les pièges.

  • Attention ne pas tomber dans la starification. Oui on partage son expérience, oui on le fait avec transparence et honnêteté, pour autant on n’est pas des influenceuses ou des stars de télé réalité. On n’est pas des stars du tout d’ailleurs. Il faut garder son égo de côté, faire attention à ce qu’on met en avant. Oui il faut de la transparence mais ça ne veut pas dire qu’on doit tout dire, tout partager, tout montrer. Les gens qu’on essaie d’inspirer ne sont pas notre journal intime.
  • L’empathie ne veut pas dire la complaisance. Oui il faut voir l’industrie avec empathie mais pour autant il ne faut pas se mettre à en oublier les défauts. Quand on est rôle modèle, parfois on finit par avoir accès à des parties de l’industrie que la plupart des femmes n’accèderont jamais. On peut avoir un réseau hyper développé et finir par avoir une place privilégiée. Et c’est là qu’on peut finir par être tokenisée. Par devenir l’une des femmes de la tech utilisées contre les femmes de la tech, voire qui finissent par dire « ah mais non y a plus de souci, regardez où je suis ! »

 

SLIDE 28 – Sorority will save us

La solution que j’ai trouvée pour m’aider à ne pas tomber dans ces écueils, c’est de trouver une communauté, une sororité, avec d’autres femmes qui font la même démarche. On peut se soutenir, on peut parfois râler ensemble, mais aussi voir les impacts qu’on a et aussi se surveiller, éviter que nos égos prennent le dessus ou qu’on oublie pourquoi on fait ça. L’idée c’est de pas oublier l’objectif éthique derrière et de s’entraider dans ce combat.

Parce que c’est un combat. On essaie de faire changer notre industrie, de la rendre meilleure. Et c’est un combat qui demande des armes variées. Alors oui, le thème de ma conférence c’étaient les rôles modèles, et comment on peut bâtir un modèle différent et éviter les risques de dérapages. Mais, c’est pas juste en ayant des rôles modèles qu’on va régler le problème de manque d’inclusion des femmes dans la tech. Il ne faut pas croire que c’est la solution à tous nos problèmes. C’est une des solutions, mais il y a tout un tas d’autres stratégies à mettre en place.

Il y a pleins de pistes déjà mises en place à certains endroits : quotas, non-mixité, accompagnement, éducation… Les rôles modèles sont souvent montrés comme étant la solution au manque de femmes dans la tech. On dit « il faut montrer aux jeunes filles que c’est possible et ensuite ça ira ». Sauf que c’est faux. Si on s’arrête à ça, au mieux les femmes viendront, mais elles repartiront comme elles le font aujourd’hui. Donc bien que la question des rôles modèles me semble hyper importante, c’est pour ça que j’ai fait cette conférence, je vous dis pas qu’il faut s’arrêter là. C’est une étape, mais loin d’être la dernière et je compte sur vous pour nous aider à mettre en place toutes les stratégies pour plus de diversité et d’inclusion dans la tech (d’ailleurs, pour l’inclusion aussi d’autres groupes marginalisés comme les personnes handicapées, les personnes LGBTQIA+, les personnes racisées, etc).

 

SLIDE 29 – THANK YOU

Cette conférence était très ambitieuse et touchait à pleins de sujets qui me tiennent beaucoup à cœur. J’espère que j’ai réussi à vous intéresser au sujet.

Si vous voulez creuser plus loin, je vous ai préparé des ressources pour commencer la suite du voyage, vous les trouverez en suivant le QR code. Ces ressources ne sont pas exhaustives, je vous conseille de revenir dans quelques semaines, j’y aurai ajouté d’autres choses au fur et à mesure.

Vous pouvez me trouver sur mastodon ou bluesky, ou linkedin à mon nom. J’ai un twitter mais je vais quitter ce réseau donc c’est pas forcément intéressant de m’ajouter.

Merci d’avoir suivi cette conférence, et je suis disponible pour en discuter si vous le souhaitez, n’hésitez pas à venir me voir !